13 octobre 2009

Rowan, "l'enfant cheval"


J'ai enfin terminé la lecture du témoignage de Rupert Isaacson, The Horse Boy. A father's miraculous journey to heal his son. L'ouvrage vient de sortir en français chez Albin Michel sous le titre L'enfant cheval. La quête d'un père aux confins du monde pour guérir son fils autiste.

Lisez-le ! C'est vrai que la démarche de Rupert et Kristin Isaacson pour soigner Rowan est extraordinaire, c'est vrai que l'on pourrait hésiter à se plonger dans la lecture de ce fantastique témoignage en se disant quelque chose du genre "ce n'est pas réaliste, cette odyssée en Mongolie et en Sibérie à la rencontre de chamanes ne peut rien avoir de commun avec nos vies !" Et pourtant, dans chaque page, j'ai reconnu un peu de notre histoire à Matthieu, Thierry, Agathe et moi. Ce récit m'a beaucoup touchée. On y sent l'amour et la détermination qui unissent les parents de Rowan dans la quête d'un mieux-être pour leur fils.

J'ai eu le privilège de rencontrer Rupert Isaacson ce week-end. C'est quelqu'un qui déborde d'une énergie communicative et qui est prêt à s'engager jusqu'au bout pour défendre les causes qui lui tiennent à coeur. Son ouverture d'esprit, son analyse de l'autisme -qu'il est capable de regarder avec les yeux d'autres peuples et d'autres cultures- m'ont beaucoup plu. Grâce aux chevaux, au milieu desquels il évolue depuis toujours, il a pu aider son fils à sortir de cet état "d'incontinence physique et mentale" dans lequel il se trouvait. Matthieu est complètement indifférent aux chevaux mais, ainsi que je l'avais déjà entendu dire, l'équithérapie peut s'avérer efficace pour beaucoup d'enfants autistes. Ce livre en est la magistrale démonstration.

Qui sait, peut-être Rowan et Matthieu, qui ont à peine une semaine d'écart et qui progressent sensiblement de la même manière, se rencontreront-ils un jour...
J'avais préparé (un peu scolairement, il faut bien le dire !) ma rencontre avec Rupert Isaacson en relevant les passages de son livre qui avaient trouvé une résonnance particulière en moi.
Je reproduis ici cette fiche comparative de nos deux expériences :


La vie de la famille Isaacson n’a rien de commun avec la nôtre, en apparence du moins. Ils sont aussi cosmopolites que nous sommes sédentaires, aussi proches des chevaux que nous en sommes étrangers.

Deux planètes différentes, en somme. Et pourtant, leur planète autisme est la même que la nôtre, exactement la même. Leurs joies, leurs peines, leur approche de la maladie, leurs mots pour la dire, aussi, sont les mêmes que les nôtres.

Les points communs entre nos deux familles :

- L’âge de nos garçons : Rowan est né le 27 décembre 2001, Matthieu le 2 janvier2002. (Dès que j’ai lu le livre, je l’ai ressenti comme un signe de parenté très fort).
- Le lien très fort et très complice qui unit Rupert et Kristin qui ont également conscience du nombre effrayant de couples qui se ne résistent pas à l’épreuve de l’autisme.

Les traits communs et les comportements autistiques similaires de Matthieu et Rowan :

- Les yeux de nos garçons quand ils sont éclaboussés par la joie et leur beauté lumineuse : « with the moste strangely luminous, blissful expression on his face. » (p. 96)
- Leurs fous rires : « giggle ». Rires ivres de Matthieu.
- Leurs mains (cela m’a frappée sur les photos du site « thehorseboyfoundation »).
- La place du « Roi Lion » et des jouets-animaux dans les univers respectifs de nos enfants (mondialisation oblige…) : Rowan ne quitte pas Simba et Scar, Matthieu est souvent accompagné, aujourd’hui encore, de Timon et Pumba qui partagent ses jeux. Petit, Matthieu choisissait toujours un nombre bien précis de petits animaux en plastique (« cheap plastic toys ») à emmener partout.
- Hypersensibilité sensorielle. Hurlements de Rowan quand bruit (p.15) ; Matt se bouchait les oreilles en pleurant.
- Des éponges hypersensibles qui perçoivent la moindre nuance dans nos voix. « …cringing at the note of desperation in my voice ». (p. 134).
- Des enfants connectés à nos affects : « Mummy to smile, said Rowan worriedly, Mummy to not cry. » (p. 249). “Maman tu souris, dis maman !” La seule phrase complexe que Matthieu ait faite avant 4 ans était de cet ordre quant au contenu. Il avait 40° de fièvre.
- L’amour de certains mots dont se délectent (p. 19) : « he also seemed to love words – not to communicate, but the single words themselves ». Cf. “phacochère” et “aster lunaire” de Matthieu.
+ manière qu’a Rupert d’essayer de trouver une explication à cet engouement.
- Les difficiles transitions. (p. 39) « Autists have tremendous trouble with transitions, even simple ones, like leaving the end of the park and entering the supermarket ». Comme Matthieu avec les tapis.
- L’absence de jeux “appropriés” (nous usons du même vocabulaire) : « Would he ever play appropriately with his trains, his animals, or would he just for ever queue them up in spirals… ?” (p. 47).
- L’inquiétant ami imaginaire. Cf. Porcinet pour Matthieu. (p. 62) et l’importance de transformer cela en jeu interactif.
- Faire-semblant et laborieuses narrations …
D’abord vie scénarisée (« Once upon a time there was a little boy called Rowan, and he went to Mongolia and saw some shamans. », p. 164) puis expérience transposée dans histories d’animaux (p. 204) puis inventions détachées du quotidien (mais pas de ses petites passions concernant Matthieu).
- Le temps de décantation : « It’ll work out. He’s just making the adjustment, that’s all.” (p. 148).
- Leurs apprentissages en secret, à notre insue. « It’s a Gobi. » (p. 154)
- Le terrible retrait autistique : “Rowan had his eyes tightly shut now, as he retreated into himself. This is a very bad thing for an autistic kid to do, every autism parent’s worst scenario : seeing his child retreat, withdraw, shut down, his nervous system overloaded.” (p. 142).
- Les décourageantes regressions, “How he had seemed to lose some of his autism symptoms for a few days but had then regressed.” (p. 259) d’autant qu’elles interviennent souvent après d’énormes progrès et que nous nourissons le secret espoir qu’elles n’arriveront pas, pas cette fois.
- Leur conscience de leur maladie et de ce qui est bon pour eux : « Trough the forest to the medicine wheel » (p.29).
« My son turned and looked at me, and I saw a kind of light bulb go on begind his eyes as he realized that for the first time he had overcome his usually paralysing, neurologically driven anxiety and fear. That he had, perhaps for the first time in his short life, managed to conquer it, rise above it, cast it aside instead of letting it rule him.” (p. 150).

Quelques petites différences entre nos deux garçons, toutefois :
- Matthieu n’est absolument pas attiré par les animaux. En revanche, il semble avoir un contact particulier avec les bébés.
- Les colères de Matthieu étaient moins violentes que celles de Rowan mais il chouine encore maintenant pour rien, sans qu’une quelconque frustration puisse être mise en cause.

Les mêmes petites parades improvisées jour après jour.

- La forêt calme Rowan. (p.18) Matt allait toujours bien quand promenades en forêt avec son papa et son chien.
+ sens de l’orientation de Rowan que j’ai aussi noté chez Matthieu dans le parc des labyrinthes ; il m’a alors dit, avec justesse, comme si c’était évident : « Maman, la sortie c’est par là, voyons ! »
- Prennent appui sur les centres d’intérêt de Rowan pour le faire progresser, ce qui nous a paru évident, à nous aussi (p. 19) : « Animals and natre were what motivated him. »
+ passage sur Katherine, cette enseignante qui travaille « within the context of their loved obsession ». (p. 49)
NB : Rupert a rencontré Temple Grandin.
- Importance de beaucoup chanter au quotidien. L’alphabet, par exemple (p.34), dans les deux cas. Invention de chansons (Rowan lui-même page 264).
- Inventer des histoires à nos enfants où nous parlons d’eux. Page 268 : « There was a little boy called Rowan…” Je fais pareil avec support mini-golf en ce moment.
- La connivence autour du livre. Dr Seuss pour eux, La chasse à l’ours, pour nous (p.36).
- Jeux autour des lettres (p.37). Nous les inventons puis ce sont nos enfants qui en inventent. « He started to play alphabet game ».
- L’importance de toujours encourager, féliciter nos enfants. « I wanted to give him positive reinforcement.” (p. 39). “You’re brilliant !” (p. 298). “Tu es épatant !”
- L’importance d’exercer des pressions, de serrer notre enfant : « deep pressure ». (p. 67).
- L’importance d’énumérer les actions à venir en les numérotant : « First shamans, then more river ! » (p. 83)
- La vitesse, apaisante ? « The rhythm and speed always consoled and glanned him.” (p. 132 ). cf. Matt et sa balançoire.
- L’émulation des pairs. Nicolas, Arno et Téo / Tomoo.
- Dédramatiser en permanence. « It’s just horses saying hello, said Kristin in a bright, deliberately cheery tone.” (p.198)
+ ingéniosité permanente pour y parvenir (épisode de la chute de cheval et du serpent qui sert de diversion, p. 228-29).


Les émotions de Kristin et Rupert au quotidien et la manière qu’il a de les décrire.

- Le sentiment que tout est trop lent. « But i twas so slow. I wanted something more radical, something miraculous.”
- Doute, culpabilité, (faux ?) espoirs… (p. 144).
- La peur que notre clé ne fonctionne plus : et si Matthieu ne voulait plus jouer ? « What if Rowan refused to get on a horse again ? » (p. 148)
- Notre joie quand nos enfants font les mêmes petites bêtises que les autres. Le mensonge de Rowan, révélateur de capacités cognitives (p. 152) ; les bavardages de Matthieu à l’école l’an passé.
- La joie avec laquelle ils notent les “premières fois” : « How many words was that ? The moste words I’d ever heard Rowan string together in a proper sentence was maybe eight or nine. This was…I counted them off on my fingers. Twenty-nine.” (p. 203) “He had never asked “why” question before.” (p. 239)
- L’envie que nous éprouvons parfois quand nous voyons les enfants qui n’ont pas de comportements autistiques. (p. 211). « I looked enviously at him. Envious of what ? Of his parents, for having such in independent, self-sufficient child…”
- Notre émerveillement devant de tous petits progrès (p. 216 ; cf. aussi Barbara Donville) p. 216 : Rowan accepte de ne plus mettre son petit menton pointu sur la tête de son papa. P. 246 : Rowan est capable de se séparer de ses animaux-jouets.
- L’attention que nous portons à leurs capacités cognitives. Faire une « appropriate connection », être capable de transposer une idée dans un autre contexte.


J’ai été frappée par l’évidence avec laquelle Rupert Isaacson accueille l’autisme de Rowan comme une maladie neurologique (il y a les « neurotypical human » et les autres), alors que moi, je m’évertue à le démontrer tout au long de mon livre.

La description qu’il fait de certaines pratiques des chamanes et de leurs effets apaisants sur Rowan me rappellent les pratiques inspirées de la médecine chinoise de mon ostéopathe.
A la page 170, surtout, j’ai été frappée par le travail effectué sur le crâne (cf. séance de Matthieu quand il avait un peu plus de deux ans : il a été question de l’encéphalite de Thierry et G. a « chassé » les énergies). La réflexion sur les esprits me rappelle les explications que me donne G. sur les énergies.

Dépression, épilepsie sont une fois encore évoquées…même si c’est dans le contexte très particulier des chamanes.

Au total, Rowan a parcouru en deux semaines le chemin effectué par Matthieu en 9 mois. Sans avoir la même clé, ils sont passés sensiblement par les mêmes étapes. Le point d’orgue :
« Daddy’s a friend. » dit Rowan à son papa à la fin de leur folle équipée.
« Maman, tu es mon amie », m’a dit Matthieu un an tout juste après le diagnostique.